Le garde-du-corps doit-il accepter de « porter les paquets » ?

C’est un des grands dilemmes de la profession : le garde-du-corps doit-il porter les paquets ? En effet, on rentre dans la carrière généralement par goût de l’action et par idéal. Alors on se forme au tir, on apprend à poser un garrot. On fait des pompes, on étudie les modes opératoires des kidnappeurs, on assimile des techniques contre-terroristes. On se tient prêt à chaque instant à intervenir, on est prêts à risquer sa vie.

Et tout bascule le jour où votre Principal vous demande… de porter les paquets de sa virée shopping. Ou la laisse de son chihuahua.

Bien entendu, il faudrait refuser. Pas (seulement) pour des questions de prestige personnel. Encombrer ses mains, c’est diminuer son temps de réaction en cas d’incident. Or la protection d’une vie peut dépendre d’un réflexe de moins de quelques secondes. Le garde-du-corps n’est pas un majordome. Chacun son job, et celui de l’APR semble clair : assurer l’intégrité de son Principal, et rien d’autre.

Sauf que dans la pratique, les choses sont forcément moins faciles.

Dire non à son Principal est toujours délicat. Surtout les premières fois et notamment lorsque la hiérarchie de la prise de décision n’est pas bien établie. Lors des attentats de Charlie Hebdo par exemple, le Président HOLLANDE était sur place moins d’une heure après les assassinats. Or, nous savons tous qu’il s’agit là, techniquement, d’une erreur. L’étude du Mode Opératoire Hostile nous le démontre. Mais au delà de cette menace, la raison d’Etat et les impératifs du Principal vont à l’inverse de notre logique.

De l’assassinat du Duc Ferdinand d’Autriche à la tentative d’assassinat de Ronald Reagan… L’histoire ne cesse de nous conter cette problématique. La prise de décision dans notre métier de garde-du-corps navigue souvent dans une zone grise. En effet, nous sommes tiraillés d’un coté par les intérêts du Principal, mais influencés de l’autre par le risque de rupture du contrat de service. Et ce dilemme existe du plus gros enjeu de la Protection de notre Principal, au plus petit… Certes, le Principal aura le dernier mot, car nous sommes là avant tout en tant que Conseillés. Et surtout, nous travaillons dans le privé.

Le garde-du-corps « rolex »

Sans compter que nous devons aussi assurer des missions de type « Rolex », où l’enjeu n’est pas toujours l’intégrité du Principal. En effet, beaucoup d’entre nous rencontrerons, au moins une fois dans leur carrière, une mission pendant laquelle planera ce vague sentiment de servir surtout de « status symbol », c’est-à-dire de symbole d’un certain statut social. Dans ces missions, le dress-code est infailliblement le fameux costume sombre / lunettes de soleil noires / cravate noire. De fait, les plus bodybuildés des agents, ceux dont la carrure se démarquera bien sur la photo, seront privilégiés. Cela arrive couramment dans le star-system et chez les nouveaux riches.

Le problème s’atténue généralement avec ces clients au fil des ans, quand l’ego s’apaise et/ou quand la conscience du danger rend raisonnable. Les « nouveaux Russes » en sont l’exemple type. Jadis, ces oligarques avaient bâti des fortunes incroyables en l’espace de quelques mois seulement à la chute de l’Union soviétique. Aussi, dans les années 90, au pied des pistes à Saint-Moritz ou partout ailleurs dans les coins les plus huppés de la planète, on les reconnaissait de loin, avec leur jolie blonde à leur bras et surtout la véritable armée de gardes-du-corps les entourant, dont quelques-uns, immanquablement, portaient des sacs de shopping siglés des marques les plus luxueuses.

La fin d’une époque

Mais ces temps-là sont révolus pour les « nouveaux Russes ». Les menaces réelles dont ils font l’objet, les kidnappings réguliers et les assassinats politiques dont leur petit milieu a pâti, leur ont appris avec le temps à privilégier une certaine discrétion dans leurs mouvements, et à vouloir des garde-du-corps plus efficaces, moins visibles et surtout… aux bras moins encombrés.

Reste que le choix d’accepter ou non de « porter les paquets » (ou de tenir la laisse du chien…) reposera toujours in fine sur les épaules du garde-du-corps. Du fait, ceux d’entre nous qui sortent de l’Institution privilégieront sans doute l’efficacité. En revanche, ceux qui sont plus emprunts des pratiques du secteur privé savent que le service est une part entière de l’appréciation de leur client ou de leur Principal. Travailler ou retravailler y est lié directement. Et puis surtout, n’oublions pas la loi. Nous supporterons directement les conséquences de nos actes si nous sommes contrôlés par les Forces de l’Ordre en possession de substances ou d’objets interdits, même à « l’insu de notre plein grès »… C’est au garde-du-corps que revient le rôle, au quotidien, de définir sa mission et son cœur de métier – sécurité ou « show » – et, finalement, de décider quel sens il veut donner à sa carrière.

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– Publié par EEPR  (Yannick CAYET), le 17 Janvier 2016

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Photo: Viatcheslav Ponomarev, maire séparatiste russe en Ukraine, et son garde du corps – source : Libération, © Gleb Garanich / Reuters

2018-10-07T13:42:51+00:00janvier 17th, 2016|Articles|0 Comments

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